Le film « Yellow Sea » alias « Hwanghae » était à Cannes cette année à l’ombre des projecteurs qui ont élu le film « Arirang » de Kim Ki-duk, meilleur film de la section Un Certain Regard. Deuxième film de Na Hong-jin, réalisateur remarqué avec le thriller ultra-violent « The Chaser », « Yellow Sea » a été un succès public lors de sa sortie en Corée du Sud.
Un thriller social et communautaire?
L’histoire de « Yellow Sea » se présente comme un thriller fortement ancré dans le contexte social coréano-chinois. En effet, il s’agit de l’histoire d’un homme de la région de Yanbian, région autonome chinoise au peuplement à dominante coréenne, les « joseonjok ». Sous-prolétaire paumé, le personnage joué par l’acteur vedette Ha Jung-woo, rêve de sa femme perdue quelque part en Corée du Sud. De mauvais plans en mauvais plans, le malheureux se couvre de dettes; pour les rembourser, il finit par accepter de travailler pour la mafia locale. Une mafia qui s’avère tentaculaire et infiltrée impunément à tous les niveaux de la vie quotidienne. Il part donc pour Séoul afin d’assassiner un homme dont il ne sait rien. Là-bas, les choses tournent mal pour le tueur amateur. Il se retrouve plongé dans un imbroglio maffieux dont tout lui échappe.
Deux parties inégales
Ce film peut être vu comme constitué de deux parties distinctes. La première qui a probablement séduit les sélectionneurs d’Un Certain regard à Cannes, présente des aspects documentaires originaux. Le decorum de la vie de ce sous prolétaire n’est autre que cette mystérieuse société coréano-chinoise de Yanbian. A la différence des films chinois ou coréano-chinois sur le sujet qui choisissent un style documentaire fait de plans-séquences longs pour montrer le quotidien misérable et violent de cette région du monde, Na Hong-jin choisit des plans courts, des vues profondes entraperçues et prises de derrière la nuque de son personnages principal à la dérive. On y aperçoit furtivement les rues chaotiques, les marchés interlopes, les salles de jeu improvisées où notre héros va jouer et perdre sa minuscule fortune et s’endetter à vie. La passage du film dans lequel il devient chauffeur de taxi permet au réalisateur de tracer un portrait apocalyptique de cette région néo-capitaliste chinoise dont les hurlements de chiens errants voués à la casserole ou aux combats clandestins sont le seul leitmotiv vraisemblable pour la bande-son. La scène où le héros retrouve le pays sur les rives ingrates du port de Incheon près de Séoul, et dans laquelle il se pourlèche les babines d’un bol de nouilles et de feuilles d’algues du pays est tout un symbole de la valeur salutaire de son retour sur la presqu’île coréenne.
Une séquence d’anthologie pour personnes averties
De son style documentaire moderne, le film bascule dans le thriller raffiné et rempli de coups de théâtre lorsqu’on en vient au moment du meurtre. Car rien n’arrive comme prévu, et la scène du meurtre dans l’escalier exiguë d’un immeuble du quartier huppé de Gangnam restera dans les anthologies du cinéma coréen. Avec les airs ahuris de l’acteur Ha Jung-woo et les multiples traitrises des larbins mafieux, son ambiance de huis clos et sa violence charnelle – un doigt tranché – la séquence décrit un meurtre bien plus difficile qu’on ne l’imaginait.
Malheureusement, la seconde partie, après plus d’une heure de film, n’est pas à la hauteur des débuts prometteurs. Cette partie néfaste qui correspond à la cavale du « meurtrier » retombe dans les pires clichés des films de gangsters fabriqués à la chaîne par les grosses sociétés de production. Des clans maffieux s’y affrontent, irréalistes et incompréhensibles. Un message politique se cache peut-être dans cette scène surréaliste où les membres au profil néandertalien d’un des clans déchiquètent à pleines dents ce qui paraît être un porc ou un mouton tandis qu’une vieille télévision passe l’hymne national coréen. Ironie ou condamnation des Joseonjok? Nul ne pourrait répondre car la suite glisse vers d’autres horizons encore plus terre à terre. On retrouve ici un genre du cinéma coréen apparu dans les années 1990, celui de l’exorcisme du quotidien très compétitif des spectateurs par la vision métaphorique de groupes armés qui se tabassent presque mécaniquement sous le prétexte qu’ils appartiennent à telle marque ou à telle autre. Dès lors, le style de Na Hong-jin s’évanouit, et le film se termine en pilotage automatique. Et les historiens du cinéma coréen à venir devront en rechercher les boîtes noires, très noires.
Le renouveau balbutiant du cinéma de genre
Rentré bredouille du festival de Cannes au risque de nuire à la réputation du réalisateur, il demeure néanmoins du film « Yellow Sea » une première partie qui ouvrait les yeux, peut-être pour la première fois, sur une contrée encore inexplorée de la Chine nouvelle, et ceci bien mieux, bien plus crument, que les quelques documentaires didactiques sur le sujet. Avec sa séquence de meurtre ultra-réaliste d’anthologie, le film s’élève aussi au niveau d’un cinéaste comme Kim Jee-woon (réalisateur de « A Bittersweet Life » et « I Saw the Devil »), c’est à dire, au meilleur niveau du cinéma de genre coréen.